À l’occasion de la 12e édition des Arcs Film Festival, qui s’ouvre ce 12 décembre, le Lab « Femmes de cinéma » s’apprête à publier sa nouvelle étude sur la place des femmes dans le cinéma européen. Elle complétera celle publiée récemment par le CNC dans le cadre des 3e Assises pour la parité, l’égalité et la diversité. Échange avec sa cofondatrice, Fabienne Silvestre.
Par Clara Vincent
Si 2017, l’année de la création officielle du Lab «Femmes de cinéma», coïncide avec l’éclatement de l’affaire Weinstein, l’idée de sa fondation, quant à elle, remonte à quelques années plus tôt. Son engagement pour une meilleure représentativité des femmes cinéastes en Europe découle d’une initiative lancée en 2013 au sein des Arcs Film Festival.
Cette année-là, le festival de cinéma européen a crée le Prix Les Arcs-Sisley « Femmes de cinéma ». Tout est parti d’un constat : « Assez vite, je remarque un problème : chaque année, sur les 10 films en compétition aux Arcs, seuls 1 ou 2 sont réalisés par une femme », raconte la cofondatrice du Lab, Fabienne Silvestre, qui a rejoint l’équipe des Arcs depuis sa création.
Mais la récompense suscite d’abord la réticence. « Quand on a créé ce prix, plusieurs réalisatrices me disaient qu'elles n'avaient pas envie d'être mises en avant parce qu'elles étaient des femmes mais pour leur talent », se remémore-t-elle.
Ce n’est véritablement qu’en 2016, lorsque les Arcs décident de consacrer une partie de leur programmation à la nouvelle génération des réalisatrices européennes, que l’idée de lancer le Lab se concrétise. « À la fin du festival, on a été très étonnés de l’intérêt qu’avait suscité notre démarche. On ne pensait pas que les gens auraient autant de choses à dire sur ce sujet-là, et c’est ce qui nous a motivés à monter le Lab au printemps 2017. »
C’est aussi lors de cette 8e édition que la première étude sur la place des femmes cinéastes en Europe est présentée. Réactualisée chaque année depuis avec le soutien de la Fondation Sisley d’Ornano, cette étude constitue aujourd’hui l’un des trois piliers du Lab, avec la tenue d’ateliers et de masterclass.
Générateur d’idées
L'association a pour vocation de sensibiliser mais aussi de faire émerger des pistes de solutions. Pour ce faire, Fabienne Silvestre organise des ateliers d’intelligence collective, une méthode qu’elle tient de son activité de coach en accompagnement professionnel. Le principe est simple : chaque voix compte, sans distinction de statut ou de poids lié à la notoriété, et à la fin, tout le monde repart avec un engagement personnel.
C’est notamment à la suite de l’un d’eux que la réalisatrice Céline Sciamma s’est engagée à lancer les Assises pour la parité, l’égalité et la diversité, dont la 3e édition s’est tenue en ligne les 26 et 27 novembre derniers. « Je ne suis pas en train de dire que les Assises sont nées grâce à nous, mais je crois, j’espère en tout cas, qu’on a joué un rôle de déclic », tient à préciser Fabienne Silvestre.
Ce fut en tout cas chose faite en 2018, sous la houlette du Collectif 50/50 dont la réalisatrice fait partie. S’inscrivant dans le sillage de la vague #MeToo, ce mouvement milite en faveur d’une plus grande égalité et diversité dans le cinéma et l’audiovisuel français par la présentation de mesures concrètes.
« Les choses bougent »
Au moment de sa constitution, le Collectif s’était fixé l’objectif de parvenir à plus d’inclusion et de diversité dans la profession en 2020. Si la date butoir a été révisée depuis, les actions menées par ses membres sont néanmoins « la preuve que les choses bougent », affirme Fabienne Silvestre.
Elle cite les exemples de la « bible » du Collectif, cet annuaire à destination des recruteurs qui répertorie les noms de professionnels du cinéma issus de minorité ; mais aussi de la « Charte pour la parité », signée à ce jour par 156 festivals internationaux [1] ; ou encore de la nomination d’un « référent harcèlement sexuel » dans les équipes de tournage.
Le « bonus parité » instauré en 2019 est une autre mesure que le milieu du cinéma doit au Collectif 50/50. Une subvention de +15% octroyée par le CNC à toute équipe de film qui emploie autant de femmes que d’hommes à des postes clés. En 2020, ce bonus a été versé à 34% de films contre 22% l’année de sa création [2].
Au sein des Arcs Film Festival, la situation s’améliore également. « Aujourd’hui, 4 à 5 films sélectionnés en compétition sont réalisés par des femmes », se réjouit Fabienne Silvestre. Elle nous indique que cela s’est fait « naturellement », le festival s’étant refusé à recourir aux quotas : « On ne voulait pas avoir de contraintes, d’objectifs préétablis qui auraient pu nous pousser à sélectionner un film moins fort pour le seul critère qu’il ait été créé par une femme. C’est un peu comme si le simple fait de nous être montrés plus sensibles à la question avait permis cette avancée. »
Persévérer
Mais la cofondatrice du Lab « Femmes de cinéma » se garde bien de crier victoire : « Les chiffres sont encore accablants. Notre dernière étude [publiée en 2019] révèle notamment qu’une baisse s’observe partout en Europe. Dans un pays comme la Suède par exemple, qui est plutôt en avance en termes d’inclusion [3], le taux de films réalisés par des femmes est passé de 36% en 2017, à 27,41% en 2018. »
Au niveau européen, cela s’est traduit par une chute de la moyenne de femmes réalisatrices, avec une proportion passant de 21,05% à 19,25% entre 2017 et 2018. En France, plus gros producteur de films européen (soit 16,70% de la production du continent), le taux atteignait les 25,4% en 2017 avant de retomber à 23,99% en 2018.
« Déjà que ça évolue lentement, ça montre que ce n’est pas gagné », commente Fabienne Silvestre avant d’insister sur l’importance des chiffres dont ceux-ci, qui font état d’une évaporation progressive des femmes cinéastes au fil de leur carrière : « En moyenne, dans les écoles de cinéma, un étudiant sur deux est un fille ; au moment du premier court métrage ça passe à une sur trois ; du premier au deuxième long, c’est une sur quatre et à partir du troisième long, c’est une sur cinq. »
Un état des lieux encore bien trop contrasté qui ne fait qu'accroître la détermination de la cofondatrice du Lab. Ainsi, si la crise du Covid-19 a contraint l’association à réduire ses activités sur le terrain cette année, plusieurs projets n’attendent plus que la situation s’améliore pour être lancés.
En premier lieu desquels un rapprochement avec l’Observatoire européen. Avec sa collaboration, le Lab aimerait intégrer l’industrie des séries dans ses prochaines études. L’association entend également travailler à une plus grande implication des hommes dans ses ateliers et au déploiement du maillage associatif au niveau européen.
En attendant, Fabienne Silvestre est en plein préparatif des Arcs 2020. Outre la présentation de sa nouvelle étude, le Lab « Femmes de cinéma » y organisera une masterclass avec la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, ainsi qu’une discussion sur le thème « Rassembler, représenter, s’engager au travers de son cinéma », à laquelle participera, entre autres, l’actrice Agnès Jaoui, dont le discours aux dernières Assises a marqué les esprits.
Retrouvez le programme des Arcs Film Festival ici.
[1] Recensement des signataires: http://collectif5050.com/les-festivals
[2] Selon les chiffres annoncés lors des 3e Assises pour la parité
[3] Selon l’étude du Lab 2018, la Suède est le premier pays à afficher une forte progression sur la période 2012-17
En +
Pendant le premier confinement, le Lab avait demandé à des personnalités du cinéma engagées dans sa cause de faire une prescription de leurs meilleurs films de réalisatrices. Les listes sont à retrouver sur le site de l’association. Les Muses ont reproduit l’expérience auprès de Fabienne Silvestre. Voici ses recommandations :
Films :
- C’est ça l’amour de Claire Burger
- L’effet aquatique, de Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget
- Mustang de Deniz Gamze Ergüven
- We need to talk about Kevin, de Lynne Ramsay
- Tom Boy de Céline Sciamma
- 3 hommes et un couffin de Coline Serreau
Docu :
- Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig
- Petite fille, de Sébastien Lifshitz
Séries :
- Fleabag de Phoebe Waller-Bridge
- Top of the Lake de Jane Campion et Gérard Lee
- Le travail de la journaliste Véronique Le Bris, fondatrice du webmagazine cine-woman.fr, notamment sur la figure d’Alice Guy, première femme cinéaste
Sources :
Etude 2020 CNC : https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/la-place-des-femmes-dans-lindustrie-cinematographique_1369156
Dossier de presse des 3e Assises : http://collectif5050.com/docs/5050_DP_Assises2020.pdf
Etudes du Lab, années 2018 et 2019 : http://femmesdecinema.org/wp-content/uploads/2018/09/Etude-Lab-2018.pdf http://femmesdecinema.org/wp-content/uploads/2019/11/Etude-Lab-2019-version-finale-.pdf
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